Sur Chemin de Saint-Jacques et de Rome (ou proche)
SAINT-RAPHAËL
Héritière de l'antique Epulias romaine, sur la route de Forum Julii (Fréjus), cette banlieue résidentielle de l'actuel quartier de Valescure ne possède, à vrai dire, qu'une histoire propre remontant au mieux à l'an mil. Les Romains, cantonnés à Fréjus, qui exploitaient les carrières de l'Estérel, s'approprient le port d'Agathon (Agay) tenu jusques là par des colons grecs de Massalia. Après l'invasion brutale du pays par les Barbaresques, puis sa reprise par Guillaume de Provence en 972, le territoire échoit aux abbayes de Lérins et de Saint-Victor à Marseille. C'est à cette époque (1065) que Saint-Raphaël prend le nom de l'ancienne église romane du hameau consacrée à l'archange Raphaël (Sant Raféu en Provençal), aujourd'hui appelée Saint-Pierre. Au XIIe siècle, le conflit de succession du comté de Provence qui opposait les comtes de Toulouse et de Barcelone permet aux Templiers de prendre possession du village. Celui-ci devient alors une commanderie jusqu'à la dissolution de l'Ordre en 1312 ; leurs biens sont alors transférés à celui de Saint Jean de Jérusalem. Mais ce n'est qu'en 1636 que l'évêque de Fréjus accorde aux habitants l'inféodation du domaine et que ceux-ci choisissent l'archange Raphaël pour blason (1690). Désormais libres de leur avenir, ils développent les activités halieutiques (ressources maritimes) ; le quartier de la Marine se développe alors autour du port. Bonaparte a aussi marqué Saint-Raphaël de son emprunte. C'est ici qu'il débarque triomphalement le 9 octobre 1799 au retour de sa Campagne d'Égypte avec tous ses généraux et de nombreux savants, et qu'il embarque, déchu, pour l'île d'Elbe le 28 avril 1814. C'est à Saint-Raphaël encore qu'il faillit débarquer de nouveau le 1er mars 1815 pour sa reconquête des Cent jours, mais il dut au dernier moment choisir Vallauris pour éviter la commune.
À partir du XIXe siècle, la ville s'adapte à marche forcée au tourisme naissant. Elle retrouve sa vocation romaine de ville de villégiature et devient rapidement une station balnéaire réputée. Le chemin de fer aide sans conteste à ce développement ; des personnalités mondaines et artistiques s'y bousculent. Le Grand Casino est construit en 1881, et en 1929, le comte de Rohan-Chabot crée le rallye automobile féminin Paris-Saint-Raphaël. Située en Zone libre, la ville est relativement épargnée durant le dernier conflit mondial, mais ne peut échapper aux bombardements qui précédent le débarquement de Provence en 1944. Le quartier d'Agay est ravagé. Le 16 août, la plage du Veillat (Red Beach) voit enfin débarquer l'armée B du général d'armée de Lattre de Tassigny et la commune est décorée, le 11 novembre 1948, de la Croix de Guerre 39-45 ; en 2004, Saint-Raphaël accueille les cérémonies du soixantième anniversaire du débarquement de Provence.
Massif de l'Estérel
Morceau de terre séparé de l'Afrique lors de la formation de la Méditerranée, la naissance du massif de l'Estérel remonte à l'ère primaire, il y a 250 millions d'années. Des phénomènes volcaniques de grande ampleur, étendus alors à toute la Provence, ont donné naissance à l'Estérel. À l'ère secondaire, le massif subit une importante érosion avant qu'un soulèvement alpin, pendant les ères tertiaire et quaternaire, ne le fasse basculer dans la Méditerranée, formant des vallées et des lacs. C'est durant ce soulèvement qu'un pan du massif se détache du continent et part à la dérive : il deviendra la Corse ! Du haut de ses sommets on peut aujourd'hui admirer l'ensemble du massif et voir ses roches de rhyolites rouges s'enfoncer dans la mer. Ces roches ont servi longtemps à la fabrication de meules (jusqu'au XVIIIe siècle). Le massif de l'Estérel a longtemps été le repaire de brigands : Gaspard de Besse (1757-1781), qui détroussait les voyageurs et les agents du fisc au XVIIIe siècle, s'y abritait. Son histoire inspira de nombreux auteurs, notamment Jean Aicard pour son roman Maurin des Maures ; « Passer le pas » de l'Esterel était une expression fameuse. Le massif constituait aussi un refuge pour les forçats évadés du bagne de Toulon
Oratoire Saint-Jacques Vallon de l'Armitelle sur GR 653A : Cf. Patrimoine "jacquaire" du Var : Saint-Raphaël
Voie romaine :
Via Aurelia À partir de Mandelieu, la voie romaine se scindait jadis en deux tronçons. Le plus ancien, suivait le littoral par la Corniche d'Or et gagnait les environs du Trayas. Elle bifurquait alors vers l'intérieur des terres au niveau de la calanque d'Aurelle, contournait le Pic d'Aurelles en suivant le vallon du même nom jusqu'au Col de l'évêque. Plus tard, un second tronçon mis en chantier par Auguste après sa victoire définitive sur les Ligures et les autres peuplades transalpines, traverse l'Estérel au nord du Mont Vinaigre et rejoint directement Fréjus (tracé approximatif de l'actuelle RN 7). Restaurée sous Néron, la nouvelle voie porte un coup sévère à l'ancien itinéraire sans pourtant le faire disparaître. Toujours empruntée par des commerçants, la voie est surveillée par des légionnaires depuis un poste de garde établi sur le plateau de Roussiveau. C'est par cette voie séculaire, à travers les ravins pittoresques des Lentisques et du Grenouillet, que cheminent de nos jours les pèlerins de Rome et de Compostelle (GR 653A).
Chapelle et Baume Saint-Honorat
Le Camin Aurelian était aussi le chemin qu'utilisèrent les missionnaires envoyés par Rome et les anachorètes venus d'Orient ; Honorat lui-même y installa son premier ermitage au IVe siècle avant d'aller défricher l'île de Lérinos pour y construire son monastère. La Baume est accessible depuis la piste par un sentier escarpé. Des marches ont été aménagées ou creusées et plusieurs rampes ont été fixées aux endroits délicats afin d'assurer un minimum de sécurité. L'entrée est précédée d'une petite terrasse enserrée dans la falaise et encadrée par de gros rochers ; la vue sur le massif de l'Estérel est grandiose. La grotte elle-même est minuscule : à peine 7,5 m de longueur sur 4 m de largeur. Deux marches en pierre permettent d'accéder à l'autel. Le sanctuaire est des plus rustiques, ce qui n'a pas découragé nombre d'ermites à y séjourner jusqu'à des périodes relativement récentes, tels Laurent Bonhomme au XVIIe siècle, ou encore les frères Clappier des Arcs vers 1775 et Calvy en 1789 ; des prêtres réfractaires y auraient aussi vécus durant la Révolution. Plusieurs grottes alentour ont également servi d'ermitages. Rachetée par la Commune en 1813, la Baume de saint Honorat n'a toujours pas fait l'objet d'un classement aux Monuments Historiques mais elle est fréquemment visitée par les pèlerins, notamment lors du pèlerinage organisé chaque premier dimanche de mai par des associations de maintenance des traditions provençales.
Saint Raphaël archange Dans la Bible (Livre de Tobie, Tb 12--15), Raphaël est envoyé par Dieu pour guérir la cécité de Tobit, le père de Tobie, et l'aider à rencontrer Sarah afin d'assurer la descendance d'Abraham. Son nom provient de l'hébreu : refa = guérir et El= Dieu, c'est-à-dire : "Dieu guérit". Souvent considéré comme appartenant à l'ordre des Séraphins, il est souvent désigné comme le chef des anges gardiens, l'ange de la Providence en quelque sorte, qui veille sur toute l'humanité. Raphaël est aussi présent dans l'Islam : il est expressément visé par le Coran (chapitre 39-68 notamment) mais avec un rôle différent. Il est l'ange qui soufflera trois fois dans une trompe pour annoncer le Jugement dernier : une première fois pour annoncer la destruction du monde (les créatures l'entendront quelques secondes avant de mourir foudroyées) ; une deuxième fois pour réveiller les morts au jour de la résurrection ; puis une troisième fois pour annoncer le début du Jugement dernier.
Saint Raphaël patron des pèlerins : Troisième archange avec Michel et Gabriel, saint Raphaël est également honoré par l'Église comme patron des "voyageurs sur terre, sur mer et dans les airs". Il est habituellement représenté avec un bâton, des sandales, une gourde et une besace retenue par une bandoulière autour de l'épaule ; il marche en compagnie d'un jeune homme (le jeune Tobie) et de son chien, et c'est tout naturellement qu'on l'invoque comme le céleste protecteur des voyageurs et des pèlerins… et pas seulement de ceux qui se déplacent physiquement, mais aussi de ceux dont la démarche intérieure est la quête de Dieu.
Basilique Notre-Dame de la Victoire
L'église est édifiée à la fin du XIXe siècle, lorsque le maire Félix Martin entreprend de transformer sa ville et que la vieille église San Raféu s'avérait trop exiguë pour accueillir l'afflux de nouveaux habitants. L'abbé Bernard, curé de 1882 à 1890, confie alors sa construction à l'architecte Pierre Aublé, camarade de promotion de Félix Martin. Grand amateur de style Byzantin-Mauresque, l'architecte s'inspire largement de Sainte-Sophie à Istanbul. Construite en majeure partie avec du grès rose de l'Estérel, l'édifice rend hommage à la bataille maritime du 5 octobre 1571 où les forces chrétiennes mettent en déroute la flotte ottomane et sauvent l'occident d'une menace sérieuse d'invasion islamiste. L'élément déclencheur est la prise de Chypre par les turcs en 1570. La prise de cette possession vénitienne entraine une réaction européenne de grande ampleur connue sous le nom de "Sainte ligue" et la mise en œuvre de moyens considérables. Le pape Pie V mobilise alors les grandes puissances européennes en une alliance comprenant l'Espagne, Venise, les États pontificaux, la république de Gênes, le duché de Savoie et l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (et quelques autres puissances). L'affrontement a lieu dans le golfe de Patras à proximité de Naupacte, alors appelée Lépante, au cours duquel la flotte ottomane perd la plus grande partie de ses vaisseaux et près de 20 000 hommes. Cette victoire eut un retentissement énorme dans l'occident chrétien et porta un coup d'arrêt radical à l'expansionnisme ottoman. L'église, élevée à la dignité de Basilique en 2004, est désormais la deuxième que compte le diocèse de Fréjus-Toulon avec celle de Saint-Maximin (2018).
Église San Raféu, dite des Templiers ou Saint-Pierre
La présence templière dans le Var, attestée dès le XIe siècle visait, entre autres missions, à protéger des pirates la ville et les convois de rendant en Terre sainte, alors mal endémique dans toute la Méditerranée. C'est dans ce contexte que les commanderies jumelées de Fréjus et de Saint-Raphaël adoptent des mesures défensives. Le port templier de Saint-Raphaël deviendra ainsi l'une des plus importantes commanderies de la région, dont les vestiges font aujourd'hui la joie des touristes. Il est probable, toutefois, que l'église dite des Templiers n'ait jamais appartenu à l'Ordre. La plaque de chancel (clôture basse séparant le cœur de la nef) est visiblement un remploi et des fouilles récentes ont montré l'existence sur le site d'au moins trois églises plus anciennes (dont une datée du VIe siècle), ainsi qu'un bâtiment quadrangulaire pouvant remonter au premier siècle (temple romain ?). L'abside circulaire des IXe et Xe siècles confirme l'origine médiévale de l'église, de même que les trois nefs du XIe englobant tous ces éléments. Un chevet carolingien a été conservé dans la crypte. De plus, restituée par l'évêque de Fréjus aux moines de Lérins en 1095, la restitution leur est confirmée en 1095 pour une durée de cinquante ans et l'évêque, qui resta seigneur temporel jusqu'à la Révolution, conservera toujours l'église dans sa juridiction.
Oratoire Saint-Jacques Cf. Patrimoine "jacquaire" : Saint-Raphaël
En guise de Conclusion
Apparition furtive de la mer à Saint-Raphaël/Fréjus… les pèlerins ne la reverront plus jusqu'au terme de leur voyage en Galice. Les plus courageux pourront alors se plonger dans l'Océan, au pied de la borne 0,00 du Cabo Finisterra et y abandonner leurs vieux vêtements ; mais c'est une autre histoire ! Dans le Var, le Chemin "traditionnel" s'enfonce définitivement dans l'arrière-pays.
De lieux saints en lieux saints, le chemin atteindra la Sainte-Baume et/ou Saint-Maximin avant de pénétrer dans les Bouches-du-Rhône. Un "Saint Chemin" est-il dit par ailleurs (Cf. "Patrimoine Jacquaire" : Entre-deux Baumes), parcouru par les plus grands saints, de la sainte Madeleine jusqu'à saint Honorat, de Saint-Louis ou sainte Brigitte de Suède jusqu'à Charles de Foucauld, ou encore par les milliers de pèlerins anonymes qui l'arpentent depuis la nuit des temps…
Le Var, avec ses innombrables sanctuaires, constitue un concentré de sites incomparable des "Chemins de Saint-Jacques et de Rome". Sans doute l'une des régions les plus riches en lieux-saints. Berceau de la chrétienté occidentale, la Vierge s'y est aussi manifestée pour la première fois : à Cotignac, elle apparaît plusieurs fois avec saint Joseph et l'enfant Jésus. Un tissu de chartreuses, d'abbayes et autres collégiales maille l'ensemble de son territoire.
Département charnière avec son voisin des Alpes-Maritimes, entre Italie (Rome) et Chemin traditionnel d'Arles, le Var occupe aujourd'hui une place tout-à-fait centrale du grand réseau jacquaire européen.
Ultreïa !